Anathema

I've lost my mind.

http://anathema.cowblog.fr/images/shutterislandtrailer1image6grandformat.jpg"- Mais au sens figuré dieu aime la violence, vous comprenez cela n’est-ce pas ?
- Non. Non je ne comprends pas.
- Pourquoi y en aurait-il autant sinon ? Elle est en nous. Elle vient de nous. Elle est encore plus naturelle pour nous que le simple fait de respirer. Nous déclenchons des guerres. Nous faisons des sacrifices. Nous pillons, nous déchirons la chair de nos frères ? Nous remplissons de cadavres pourrissants d’immenses champs de bataille. Et tout cela pourquoi ? Pour lui montrer que nous avons retenu ses enseignements."
 

& puis un jour, la muette eut neuf ans. Aucun mot ne sortait de sa bouche mis à part des sanglots étouffés & les chansons qu’elle écoutait. Elle prenait son micro & chantait par-dessus les voix des artistes. & elle se sentait bien ainsi.
Elle vivait dans son petit cahier qu’elle prenait bien soin de cacher à tous ceux qui l’entourait. Les voix parlaient pour elle, dans sa bulle bien cloisonnée. Alors, elle écrivait tout ce qu’elles lui disaient. Des textes, des chansons, des dessins. Remplir les pages blanches, c’est tout ce qu’elle faisait de sa vie. Vider, toujours tout vider ce qu’il y avait à l’intérieur. & ne plus se remplir.
C’est ce qu’elle décida. Son corps se mit à refuser la nourriture qu’on lui tendait. Ça ne passait plus dans sa gorge, elle y avait fait un nœud. Son estomac n’existait plus. Retournée à l’état de nourrisson, elle n’avalait plus que de la purée, de la compote & des yaourts. Toujours en petite quantité. & la nutrition devait toujours se faire à l’état liquide, tel de l’eau. Lisse & sans morceaux.
Sa génitrice, inquiète, se mit à la questionner. La muette ne comprenait pas, elle ne s’était jamais intéressée son bien-être. Elle refusait de répondre, honteuse de cette entrée par effraction dans son monde. & elle retournait dans sa chambre, écrire dans son petit cahier.
& puis la mère, voyant que cet état perdurait, se mit à s’inquiéter. A crier lorsque la petite ne voulait pas avaler. Lorsqu’elle recrachait le tout dans les toilettes. La petite pleurait. Elle n’avait rien fait de mal, pourtant. Elle montait sur la balance & voyant qu’elle maigrissait jour après jour, le sourire apparut sur ses lèvres. Elle hurlait de joie « Maman, j’ai maigri ! » & la mère esquissait un sourire & lui disait que c’était bien. Alors, la petite continuait à refuser de s’alimenter.
Quelques jours plus tard, la mère décida d’emmener la muette chez le médecin. Il ne trouva rien & l’orienta vers des spécialistes. Pendant des semaines, la muette se voyait questionnée par des inconnus en blouse blanche, & elle refusait de répondre à leurs questions. On lui fit tous les examens possibles & imaginables. Radio, échographie. Le goût du liquide fluorescent qui descend dans la gorge pour regarder s’il n’y a pas quelque chose qui coince était si immonde, qu’elle faillit en vomir. Ils ne trouvèrent rien.
Un matin, la mère éclata en sanglots devant l’un d’eux. Il demanda gentiment à la petite de sortir & d’aller dans la salle d’attente. Les voix se firent de plus en plus nombreuses & de plus en plus fortes. « Pourquoi j’ai fait pleurer maman ? Pourquoi je suis comme ça ? Pourquoi je fais ça ? Pourquoi ? » & elle scrutait les fenêtres dotées de petits barreaux blancs. Elle se demandait si elle mourrait si jamais elle sautait par la fenêtre. & puis, elle se dit qu’elle était trop bête, qu’elle ne pourrait pas le faire car la dame de l’accueil la surveillait, & qu’en plus, il y avait des barreaux à ces fenêtres.


http://anathema.cowblog.fr/images/009GPFTehillaBlad001.jpg"- J’ai voyagé. J’ai été obligée de m’en aller quelques temps. Tu t’es fait du souci ?
- Non. Tu t’en sors toujours. Tu es là. Et comment ça se passe avec … avec ton nouveau tuteur ?
- Ça va bien. Pas de souci.
- Et pour la révocation de ta tutelle ?
- T’as pas à te faire de souci pour moi. Je vais m’en occuper, c’est plus ton travail maintenant.
- Je suis qu’un vieil homme malade. Je suis un vieillard malade. Un vieil homme stupide.
- Ça c’est sûr. Tu es un vieil homme stupide quand tu dis ce genre de choses."


Au bout de plusieurs années de non-dits, la muette apprit peu à peu à parler de ce qu'elle vivait. Tout commença dans le bureau d'une spécialiste des malades mentaux, par un questionnaire oral, avec des réponses en Oui ou Non.

" - Vous vous sentez seule ?
- Oui.
- Vous avez des idées noires ?
- Oui.
- Vous avez envie de mourir ?
-
Non.
- Vous seriez prête à tuer des gens ?
- Oui."


Jamais on ne lui avait posé de questions de la sorte. Alors, jamais elle n'avait apprit à répondre. Elle se rongeait les ongles pendant les silences interminables qui entrecoupaient les questions. & puis, elle se levait, payait et repartait.
Suite à ce questionnaire, la muette fut enfermée dans un asile pour malade mentaux, appelé plus communément, hôpital psychiatrique. Subissant perpétuellement les interrogatoires des hommes en blouses blanches, elle se mit à leur répondre ce qu'ils voulaient entendre pour qu'on la laisse tranquille.
Mais un jour, une jeune stagiaire lui posa des questions fâcheuses & la muette en fut toute bousculée.

" - Vous ne parlez pas. Pourquoi vous ne parlez pas ?
- J'ai honte.
- Honte de quoi ?
- Je sais pas. Quand je parle de moi j'ai honte. Quand je parle de ce que je ressens, j'ai honte. J'ai honte de ressentir des choses. Quand on lit ce que j'écris, j'ai honte. Quand on écoute mes chansons, j'ai honte. J'ai honte d'être moi, je crois. C'est constant.
"

La balle fut enfin dans le camp de la muette. L'objectif ? Ne plus avoir honte de parler. Alors, la muette commença à parler d'elle à ses proches, un peu, & tous s'éloignèrent un à un. Presque tous.
Alors, la muette décida de redevenir muette. De ne plus parler, parce que lorsqu'elle parlait, les gens fuyaient, pleuraient, riaient. Ceux là mêmes qui lui disaient "Si tu vas mal, nous sommes là pour toi. Il faut nous le dire."
La muette ne parle plus. La muette n'a jamais vraiment réussi à parler, à vrai dire. La muette reste muette lorsque tout va mal, & parle lorsque tout va bien. La muette bloque les émotions & se constitue un masque souriant, un masque vivant.
Si vous trouvez la muette en train de pleurer, ses larmes cesseront systématiquement lorsqu'elle entendra vos pas & un sourire les remplacera dans la seconde suivante. Si la muette décide enfin de vous parler, une fois confrontée à vous, les mots refuseront de sortir de sa bouche. Si vous appelez la muette lorsqu'elle est en train de broyer du noir, elle donnera à sa voix la même tonalité qu'à l'habituel. Si vous lui dites "On dirait que ça va pas, toi ..." , elle vous répondra "Si, si, ne t'inquiète pas, je vais très bien, je suis juste fatiguée." Même au bout de la quinzième fois. Si la muette éprouve trop de douleur pour réussir à contenir ses larmes, elle se mettra à pleurer juste à côté de vous, vous tournant la tête, le dos, esquivant votre regard, silencieusement, & vous ne vous en rendrez même pas compte.
Ce n'est pourtant pas si compliqué à dire. "Je ne vais pas bien." & pourtant, la muette n'a jamais réussi à prononcer cette phrase.


http://anathema.cowblog.fr/images/Sanstitre.jpgJ'ai beau me défiler, il est là. Il dort juste à côté de moi & je ne peux m'empêcher de me dire que c'est lui, qu'il n'y en aura pas d'autre. Mais j'ai tellement peur d'y croire. C'est bête, mais ça a l'air trop facile. J'ai l'impression de ne pas assez encaisser avec difficulté, & que quelque chose va forcément arriver. Cause I’m a fool. A fool for you. J'ai grandi trop vite. D'un seul coup la vie m'est apparue en pleine face comme je ne l'avais jamais vue. & lui est trop brillant au milieu de tout ça, alors je ne sais pas ce que je dois réellement penser. Peut être simplement arrêter de penser justement. & me dire que parfois la vie est juste ... belle ... & puis j'ai trop abandonné. Je me suis cassée trop souvent, mais aujourd'hui je veux rester. Je veux le regarder dans les yeux & lui dire que je suis enfin réellement là, que je ne me sauverais plus, & que ma vie lui appartient enfin entièrement. Je tremblerais sans doute, mais il mettra ses bras autour de moi & tout ira mieux ...
 
 

"Bouche toi les oreilles ... Bouche toi les oreilles fort fort fort, encore plus fort !
Tu entends comme je t'aime ?"



http://anathema.cowblog.fr/images/Sanstitre-copie-1.jpgLorsqu'il m'a demandé "Mais pourquoi tu veux pas rencontrer ta famille ? Tu veux pas savoir d'où tu viens ?" Je l'ai regardé l'air dubitatif. Un silence s'en est suivi puis je suis partie dans un fou rire incontrôlable. Voyant son air interloqué, je me suis empressée de lui répondre. "C'est dingue cette norme sociale qui pèse. Il faut avoir une famille, il faut la voir, l'aimer. Mais je les connais pas ces gens. Je m'en fous de ma famille. J'ai rien en commun avec eux, je n'ai rien à leur dire." J'ai étouffé la phrase qui suivait "Je n'ai même rien à vous dire, vous que je connais." J'ai vu cet air déçu dans son regard, alors, j'ai poursuivi mon monologue intérieurement. Il m'a regardé l'air rieur.

"- Tu lui ressembles tellement.
- A qui ?
- Bin à ton père. Il tient exactement le même discours que toi.
- Ouais, peut-être. Mais je t'assure, y a des personnes auxquelles je ressemble plus ...
"

 


"Je n'aime pas l'étalage des sentiments, ce sont des secrets que je garde pour moi."







J’ai comme l’envie de retirer les choses. Une à une. Il y a quelque chose dans mon sang. Du trop d’alcool peut-être, autant que de n’importe quoi, que ce soit de l’amour, de la niaise passion ou bien je ne sais quelle minuscule chose périmée qui vous serre les muscles & vous donne les mots difficiles. Les draps sont sans dessus & sans dessous, retournés, étalés & sales. Du sang dessus, j’ai oublié de quelle personne il s’est déversé. Autant que j’ai oublié si c’est moi qui l’avait étalé là, après avoir martelé doucement & avec attention, ou s’il était sorti seul, comme quelque chose de presque libre de s’enfuir.
 
Je garde le souvenir des corps, pas des mots, parce que je ne veux pas me rappeler de la couleur qu’ils donnaient au jour où je les ai entendus. J’y préfère un peu de sueur & de violence, parce cela rend les choses grises & coulantes, qu’ainsi tout est plus défini & cadré. Je garde le souvenir des mimiques, des traits du visages stupéfaits & construits en fonction d’une émotion, mais j’ai oublié laquelle. Je sais qu’ils sciaient le visage en le tordant de rides, & que j’ai ri en voyant à quel point c’était complexe. & à quel point ça voulait parler à mes yeux sourds, en vain. Je garde le souvenir du demi-plaisir, de cette sorte de sensation mi-amère, du calme menteur de l’ensuite, & d’un ensemble de syllabes inutilement prononcées, parce que c’est l’usage de parler dans une sorte de fatigue fatidique.
 
Je n’ai pas quitté la chambre, j’y ai bu quelque chose en écoutant de la musique. Le corps était certainement là, mais comme oublié par la pièce & par la voix de je ne sais plus qui. J’avais du mépris dans le sang, je pouvais le sentir, le toucher avec mes doigts & palper la bosse tordue qu’il dessinait sur mes veines. Je voulais le cracher dans la pièce, le vomir sur les objets & sur la voix , le vomir par-delà la voix, juste derrière. J’ai vu le corps. J’ai voulu le toucher, le prendre encore une fois, parce que mon sang retournait mes veines & que c’était facile ; qu’il suffisait de s’allonger, de ne rien faire que de décider de l’endroit où s’infiltrer, d’enfin tordre sa propre peau en utilisant celle de l’autre.
 
C’est là que je ne sais plus ; si je suis parti, si j’ai quitté les objets informes & le corps putride, ou si j’ai frappé avec la bouteille qui avait dilué l'alcool dans mes veines. Si j’ai créé du sang ou si ce dernier est venu seul se poser dans mes mains & sur mon corps.
 

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