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J’avais l’air ridicule, barbouillée de rouge à lèvres, avec ma robe rose & ma couronne dorée. Je lisais des histoires, le soir. Ces histoires de princes qui viennent arracher des princesses à leur monde trop sombre. Alors, moi, comme une conne, j’attendais qu’il vienne ce foutu prince. Le cou droit, l’allure fière, je voulais être la plus belle lorsqu’il se pointerait. Parce que forcément, il devait arriver un jour. Mais je me disais bien qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Les princesses, sans Roi, ça n'existe pas. Le Roi se comportait mal & la Reine, dépassée par les évènements, reportait sur moi tout ce qu’elle n’avait pas pu faire. Elle me haïssait, je crois. Moi, l’enfant traître, fruit de son déséquilibre. Le Roi, il n'est pas méchant à cause des princesses dans l’histoire. Mais là, c'était à cause de moi. Je crois. Alors, pour me rassurer, je jouais à la princesse, enfilant ces guenilles & ces chaussures à talons, trois fois trop grandes pour mes petits pieds. Je me disais qu’un jour, un prince allait venir me délivrer de cette prison, naïvement. Je me suis cassé la gueule bien des fois, trébuchant sur mes robes, perdant mes chaussures en leur courant après. Je pensais qu’il arrivait, enfin. & puis, en fin de compte, ma couronne s’est détériorée & il n’est jamais venu. Ce qu’on m’avait pas dit, c’est que c’est pas un monde pour les princesses.  Que ces histoires, elles sont juste faites pour que les petites filles se raccrochent à la vie. Les petites filles qui ont perdu espoir. Que si tu joues la fille douce, sensible & fragile, ils te feront mordre la poussière. Que si tu les laisses t’approcher, que si tu les laisses te toucher, ils feront ce qu'ils voudront de toi, & qu’ils te laisseront morte, là, dans le fossé. Non, ce n’est pas un monde pour les princesses. Ce n’est pas un monde pour les petites filles paumées qui n'attendent qu’une chose : se faire aimer. Elles se feront anéantir le cœur, le corps, l’esprit. & puis, il faudra tout reconstruire. Mais reconstruire avec quoi ? Il n'y a plus rien que des barrières, quelques parpaings égarés pour construire des barricades afin de se protéger du premier qui osera approcher. Il n'y a plus rien que de la violence, du sang, de la haine. Il n'y a plus d’amour. Non, il n'y a plus d’amour. Y en a-t-il eu un jour ?

Ce n’est pas un monde pour les princesses. 
Soit. Je serais la Reine.